Qu’on le nomme pain au chocolat ou chocolatine, mais aussi couque, croissant au chocolat (ou petit pain au chocolat comme dans la chanson de Joe Dassin), cette viennoiserie fait partie de notre quotidien en France, au même titre que le croissant dont elle est la petite sœur rebelle, si l’on en juge par les passions qu’elle déchaîne.

Dans le match très serré qui l’oppose au croissant dans les préférences des consommateurs, cette viennoiserie a en effet toujours fait l’objet d’une vive polémique linguistique, révélatrice des clivages intrinsèques de la société française.

On ne dit pas innocemment chocolatine ou pain au chocolat. L’Etat a même été interpellé par les Français sur sa dénomination, le parti Les Républicains a même déposé, sans succès, un amendement à l’Assemblée Nationale pour faire reconnaître l’appellation régionale. De l’Académie au Ministère de l’Agriculture, la grande question de savoir si on devait appeler cette viennoiserie pain au chocolat ou chocolatine a alimenté les débats et continue de le faire dans la vie de tous les jours.

La chocolatine ou pain au chocolat, un incontournable de la boulangerie
La chocolatine ou pain au chocolat, un incontournable de la boulangerie (photo issue de Pexels, Photo de Madison Inouye: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/bacon-rosemart-192933/)

Quel Parisien, en vacances dans le Sud-Ouest n’a pas été repris : on dit une chocolatine, pas un pain au chocolat ! Quel Sudiste, dans une boulangerie parisienne ou dans la partie Nord de la France, ne s’est pas vu corriger avec commisération : on dit pain au chocolat, pas chocolatine !

En 2017, l’adoption par le Québec du terme Chocolatine (alors qu’au Japon c’était pain au chocolat jusqu’il y a peu, récemment des voyageurs ont posté sur les réseaux sociaux des affichettes libellées chocolatine) a contribué à relancer le match : un partout , la balle au centre…Alors pain au chocolat ou chocolatine ? Faites gaffe, vous pourriez payer plus cher votre goûter si votre langue fourche!

Team croissant ou team pain au chocolat ?

Avant même de débattre sur l’emploi du terme de pain au chocolat ou chocolatine, il y a déjà un premier choix à faire, certains étant plutôt team croissant, d’autres team pain au chocolat. Plus subtil : le croissant est-il plutôt adapté au petit-déjeuner et le pain au chocolat plutôt à réserver pour le goûter ou pour une petite fringale ? Vous êtes au pays du bien manger alors ce genre de questions est importante. Un conseil si vous êtes étranger : au lieu de pratiquer le small talk en parlant de la pluie et du beau temps, ayez une opinion sur le sujet, vous ferez meilleure impression.

Vous pourriez par exemple expliquer qu’il y a du transgressif dans le pain au chocolat ou chocolatine, et pas seulement au niveau linguistique.

Déjà, il est hyper calorique, puisqu’un seul nous refile 300 calories, ni vu ni connu, direct dans les fesses, contre 274 calories pour 50 grammes de chips.

Alors certes, pour les chips nous savons que c’est gras, il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour affirmer le contraire. Nous repérons facilement les 60% de lipides, les 35% de glucides et le reste de protéines (en fait, on repère surtout que c’est gras, nos doigts graisseux se chargeant de nous sortir du déni).

Mais le pain au chocolat (ou chocolatine) ? Le pain au chocolat (ou chocolatine) parait tout inoffensif, il est un souvenir d’enfance, on le mange avec délectation et insouciance, il est si mignon, tout bombé, tout doré, on en oublierait qu’il comporte lui aussi beaucoup de lipides, en général l’équivalent de 2 portions de beurre, sans compter le sucre et qu’il n’est absolument pas nutritif et déconseillé aux diabétiques et aux personnes en période de régime.

Un choix cornélien
Un gâteau ou des abricots ? Un choix cornélien…pas de photo avec un pain au chocolat ou chocolatine car là on n’hésite même pas (photo issue de Pexels, Photo de Karolina Grabowska: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/nourriture-assiette-sain-repas-4397723/)

Mais bon, on s’en fiche, c’est tellement bon que nous activons nos biais cognitifs et tout en fustigeant ceux qui osent manger des chips, du pain ou des pâtes, nous engouffrons deux pains au chocolat soit environ 600 calories, de préférence entre les repas, quand il est recommandé aux femmes sans activité sportive, voulant maigrir de ne pas dépasser 1200 calories…Aïe, c’est raté mais là où il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir !

Il est comme ça le pain au chocolat (ou chocolatine), il est tout beau, il nous fait de l’œil, on lui donnerait le Bon Dieu sans confession et…il finira sur nos hanches ou dans notre bedaine. Mais bon…Ne dit-on pas que tout ce qui est bon est mauvais pour la santé ? 😉 La chocolatine (ou pain au chocolat) ce n’est pas pour les control freaks.

Nous en profitons pour signaler à nos lecteurs que nos articles non plus ne sont pas pour les control freaks…Oui, il y a des anglicismes et parfois des fautes de frappe. Vous pouvez nous signaler ces dernières par mail si vous avez le temps, merci beaucoup, nous écrivons tous nos articles à partir de notre matière grise en faisant des recherches et sans utiliser l’intelligence artificielle donc comme dans les omelettes de grand-maman, il peut y avoir des coquilles. C’est le charme du fait maison !

Son histoire : de Paris à la conquête des régions

Connaissez-vous l’histoire de ce plaisir coupable ? A force de faire partie de notre vie quotidienne, on en oublierai presque que la chocolatine (ou le pain au chocolat) a connu une histoire mouvementée avant de finir dans les mains des quatre heures de nos chers enfants et sur notre culotte de cheval.

Tout d’abord, comme pour le croissant, voir notre article précédent, la chocolatine (ou pain au chocolat), ne s’appelle pas viennoiserie pour rien. Elle a en effet été inventée par deux boulangers autrichiens, August Zang et Ernst Schwarzer, deux natifs de Vienne, qui exploitaient une boulangerie à Paris. Rappel sur la définition du terme viennoiserie : il s’agit d’un produit de boulangerie fabriqué à partir d’une pate fermentée contenant du sucre, du lait, des matières grasses et des œufs, exactement comme notre pain au chocolat (ou chocolatine).

Le pain au chocolat ou chocolatine et son frère le croissant (ici au chocolat)
Le pain au chocolat ou chocolatine et son frère le croissant (ici au chocolat) Photo de ERIC MUFASA: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/patisseries-au-chocolat-1397292/

Mais contrairement au croissant, c’est donc un vrai parisien ou une vraie parisienne (désolé, mais son genre change selon qu’on dit un pain au chocolat ou une chocolatine, les personnes qui apprennent le français adorent ce genre de subtilités et comme, il s’agit de l’’essentiel de notre lectorat, nous sommes heureux de leur rappeler que la langue française contient un genre féminin et un genre masculin et qu’il faut apprendre le nom avec l’article, surtout pour les anglophones).

Le pain au chocolat ou chocolatine fait tout comme les grandes divas. D’abord : donner une date de naissance approximative. Né(e) à la fin des années 1830, entre 1837 et 1839, on ne sait pas trop.

Ensuite, laisser venir le succès crescendo : au début ce fut un flop, comme pour le croissant, d’autant plus que les premiers pains au chocolat étaient fabriqués à partir de pate à brioche donc le goût que nous connaissons était différent. Par la suite, la chocolatine ou pain au chocolat se fait à base de pâte feuilletée, voir notre article sur celle-ci.

Pourtant, à l’instar du croissant, il faudra attendre l’entre-deux-guerres pour que sa consommation décolle, puis les années 50 pour qu’il (ou elle) s’invite à la table des petits-déjeuners. Comme les grandes divas, sa démocratisation s’est fait attendre : de nos jours, on peut acheter une chocolatine ou un pain au chocolat aussi bien dans une boulangerie de quartier que dans une boulangerie de luxe (les pains au chocolat de Cédric Grollet par exemple) mais aussi en grandes surfaces.

Chocolatine et café
Photo en provenance de Pexel, de Skyler Ewing: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/pain-cafe-boire-nature-morte-9114088/

Artisanal ou industriel, la chocolatine (ou pain au chocolat) est présente partout. Tellement quotidienne qu’il faut un certain temps à l’étranger pour s’apercevoir qu’elle nous manque et qu’on n’en trouve pas partout.

Que celui qui n’a pas claqué le prix de la viande pour s’acheter un pain au chocolat ou chocolatine au Japon ou aux Etats-Unis, me jette le premier quignon de pain. Vendu à un prix dérisoire dans notre pays, la belle (ou le beau) coûte très cher hors de nos frontières. Et c’est idem pour le camembert (que celui ou celle qui sait où acheter un bon camembert de Normandie au lait cru à New York nous écrive ! Désolé, c’est un peu hors sujet…).

Traitement en cours…
Terminé ! Vous figurez dans la liste.

Le sujet qui fâche : faut-il dire pain au chocolat ou chocolatine ?

Mais comme tout parisien (et parisienne), il (elle) a eu envie de découvrir du pays. La création parisienne va donc s’exporter en province et notamment dans la partie Sud du pays.

Des plateaux de chocolatines ou pains au chocolat
Des plateaux de chocolatines ou pains au chocolat (détail d’une photo Pexels de Photo de Dreamscolor Media: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/pain-nourriture-bois-restaurant-19029378/)

Dans cette aire géographique et linguistique, l’occitan est majoritaire. Pour désigner cette nouvelle invention culinaire, c’est donc avec beaucoup de logique que le suffixe -ine va être rajouté au nom chocolat pour créer l’appellation chocolatine. L’appellation chocolatine serait originaire de la région de Toulouse. Nous employons le conditionnel car nous n’avons pas eu la chance d’assister au baptême du produit…

Le suffixe -ine a pour valeur d’exprimer la relation, tout comme la préposition au. D’un point de vue linguistique pain au chocolat et chocolatine c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Mais d’un point de vue sociologique c’est une autre paire de manches.

Ne rigolez pas, même le groupe Indeed dans sa publicité sur la mobilité géographique d’un jeune boulanger, montre ce dernier a deux doigts de rater son entretien d’embauche car il emploie le terme pain au chocolat auprès d’un boulanger du Sud qui le corrige immédiatement : on dit chocolatine, nom d’un chien ! Comme dans un compte de fées et parce qu’en France on sait vivre ensemble (lol) il ne sera pas sanctionné pour sa bévue. Ouf ! Happy end…N’empêche on sait toujours quand quelqu’un vient de Paris ou de la partie nord de la France: il dit pain au chocolat à la boulangerie 😉

Quand un mot symbolise le refus d’une langue unique

Il y a donc ce premier clivage : nordiste ou sudiste ?

Mais ce n’est pas tout. Pain au chocolat sonne sérieux, carré, un peu prétentieux tandis que chocolatine se la joue modeste, populaire, enfantine et alternative. Ne riez pas : chocolatine est un terme qui a été combattu par l’intelligentsia dès le 19e siècle, dans sa lutte contre les régionalismes.

Petit saut dans le temps : nous sommes au 19e siècle et patois, dialectes et autres mots du terroir sont priés de disparaître selon les critères de la langue idéale. C’est l’époque de Jules Ferry où les élèves sont mis au piquet, punis, grondés et moqués parce qu’ils ont employé un mot régional ou en patois.

Quand la langue bretonne était interdite
Quand la langue bretonne était interdite ! (Photo du domaine public Français : La lutte contre l’emploi de la langue bretonne par le clergé (journal La Croix du 25 novembre 1903). Disponible sur Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2201866/f1.image.r=Milizac?rk=85837;2

L’école se transforme en moule dont l’objectif est de transformer les carrés en rond et cela passe par la langue. Il était inévitable d’accoucher de triangles : ça a des arêtes les triangles et ça pique…

Si de nos jours, il est possible de prendre l‘option corse, occitan ou breton pendant ses études, pendant longtemps seul le « bon » français était toléré et promu.

Or, le « bon » français au nom duquel les instituteurs de l’époque étaient intransigeants, est très vite devenu synonyme de répression, de mépris, de prétention. Cela n’a pas vraiment changé depuis le 19e siècle : les élèves rechignent à employer des mots dont la connotation leur paraît empreinte d’un mépris de classe.

On parle la langue de la société dans laquelle on vit. On parle la langue qui nous ressemble. Si les élèves se sont montrés dociles au début, ils continuaient à employer chez eux des termes régionalistes. Progressivement, l’aberration de pouvoir apprendre l’anglais, l’allemand ou l’espagnol mais pas le breton en Bretagne, a été frappante. Pourquoi se renier autant ?
La résistance linguistique a été payante puisque désormais il est possible de présenter au bac des langues régionales. Mais la France est un état majoritairement centralisé où le « bon » français fut longtemps celui des élites, de Paris. Avec le recul historique, le terme linguicide est apparu concernant cette époque. Nous vous invitons à lire l’excellent article de Wikipédia sur le sujet.

Très vite nous en sommes arrivés à l’équation suivante : chocolatine versus pain au chocolat égal capitale versus la province, les classes populaires versus les classes aisées, le refus d’une langue unique imposée par l’Etat et un moyen de défendre son identité régionale. Et ce, dans les deux camps : ceux qui disent pain au chocolat et ceux qui disent chocolatine.

Si ce nom de pain au chocolat ou chocolatine fait autant débat c’est parce qu’il cristallise d’autres scissions, d’autres passions françaises : de la centralisation à la reconnaissance sociale.

Un mot féminin ou masculin ?

Nos lecteurs qui apprennent le français auront de suite une question pragmatique : faut-il employer le masculin ou le féminin ? Si vous êtes dans la partie nord du pays( Paris inclus) vous emploierez le masculin et le terme pain au chocolat.

Si vous êtes dans la partie sud du pays (sauf dans la région sud-est en incluant l’aire de Perpignan) vous emploierez le féminin et le terme chocolatine.

Féminin, masculin
Féminin, masculin…ça me rappelle une chanson d’Indochine (photo issue de Pexels, Photo de Jessica Lewis 🦋 thepaintedsquare: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/icones-masculines-et-feminines-florales-multicolores-191415/)

Mais saviez-vous qu’il ne s’agit pas du seul terme ou vous pouvez alternativement utiliser le masculin ou le féminin ? Par exemple certains français disent : un après-midi, d’autres : une après-midi. Ainsi vous pouvez au choix dire : j’ai travaillé tout l’après-midi ou j’ai travaillé toute l’après-midi. Ou bien : Bon après-midi ou bonne après-midi. D’autres personnes disent aussi : j’ai un rendez-vous le matin / j’ai un rendez-vous dans la matinée. J’aime me promener le soir / J’aime me promener pendant la soirée.

Il y a plein de variations amusantes dans le français et vous aurez noté que selon l’expression on sélectionne le masculin ou le féminin…

Hé bien, pour pain au chocolat ou chocolatine je vous propose de faire de même : à Toulouse, vous serez féministe et à Paris, plus royaliste que le roi qui lui n’a pas eu la chance de goûter au pain au chocolat car il a eu la tête coupée bien avant son invention !

Chocolatine ou pain au chocolat, l’important est de savourer les plaisirs de la vie.

Mais au fait : vous êtes team pain au chocolat froid et croissant chaud ou l’inverse, ou…les deux ? Nous n’avons pas compté si la parité entre pain au chocolat et chocolatine a été respectée pour cet article 😉

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