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Le film Anatomie d’une chute ne fait plus parler de lui pour le vibrant discours de Justine Triet, lors de sa remise de la Palme d’Or. Le public s’intéresse désormais au film avec enthousiasme. Le bouche à oreille fonctionne depuis sa sortie en salles le 23 août 2023. France Info parle même d’un démarrage spectaculaire.

Ce succès s’explique par la qualité du scénario et du jeu des acteurs.

Dans cette vidéo, sous-titrée en anglais, la réalisatrice, Justine Triet, et l’actrice principale, Sandra Hüller, présentent conjointement le film :

UN FILM CAPTIVANT ET INTRIGUANT

Tout est captivant dans ce film, du début à la fin, que ce soient les tentatives de reconstitution du crime, le procès et même les moments de latence.

La chute ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
La chute ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

Il n’y a aucun temps mort. Chaque scène a son utilité, au service de la recherche d’une explication à défaut d’une « vérité ». L’idée n’est pas de jouer les Hercule Poirot. Impossible d’avoir un point de vue manichéen. D’ailleurs, le passage où deux experts en projections s’affrontent, est à l’image de ce nous éprouvons quand nous essayons de deviner, si oui ou non, Sandra a tué Samuel. C’est à la fois probable et improbable. On ne sait que penser.

Le film nous place dans une position de juré. Une large partie se déroule dans une salle d’audience. Nous sommes des jurés faussement omniscients car on nous montre, uniquement en apparence, toute la dégringolade du couple. Les moments de doute, d’accusation, d’affrontements visuels et sonores, les craquages privés…Nous avons accès à beaucoup d’éléments. Mais cette prétendue transparence n’est qu’un leurre. Le film nous révèle une Sandra séductrice, fière, égoïste, ambigüe, mystérieuse, menteuse, et en même temps de bonne foi, totalement « lost in translation ». Son mari, Samuel, est un passif-agressif, jaloux et impuissant, dont la mort est soit un suicide, soit un meurtre.

Le procès ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
Le procès ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

SANDRA EST UNE FEMME ETRANGE

Sandra maîtrise mal le français et parle en anglais. Il faut toujours traduire ce qu’elle dit. Ce passage de l’anglais au français contribue à brouiller ses justifications, surtout quand elle exprime sa vérité, son analyse de la situation. La barrière de la langue instaure une distance entre Sandra, la justice et nous.

Cette mise à distance fonctionne très bien avec les spectateurs francophones, peu réputés pour leur maîtrise de l’anglais. Cela rajoute une couche d’opacité intéressante, une traduction n’étant jamais littérale.

Sandra est une héroïne étrangère qui ne parle même pas sa propre langue. Nous apprenons qu’elle est allemande mais s’exprime en anglais avec son mari français, bien qu’ils vivent en France, dans le village d’enfance de celui-ci.

Cette situation de trilinguisme est rendue encore plus plausible parce que Sandra Hüller l’actrice qui incarne Sandra, est elle-même allemande et joue en anglais et en français.

Sandra Hüller a un jeu merveilleusement ambigu. Nous l’avions déjà découverte dans un autre film de Justine Triet, Sybil , où elle incarnait une réalisatrice. Mais il s’agissait d’un rôle secondaire. Dans Anatomie d’une chute, elle peut déployer son talent et qu’elle plaisir de la voir interpréter ce rôle ! Son jeu alimente sans cesse l’opacité du personnage.

Pour les fans de l’actrice, voici une interview, en anglais, de Sandra Hüller :

Par exemple, dans le film, il est admis qu’il faudrait de la force physique pour pousser Samuel depuis la fenêtre. Et il semble inconcevable, pour les jurés et avocats, que Sandra puisse le faire. Pourtant, avec quelle facilité elle soulèvera plus tard son fils, grand et lourd, pour le mettre au lit ! Sandra Hüller joue ce passage avec désinvolture. Du coup, Sandra aurait très bien pu faire basculer Samuel. Mais juste après avoir porté l’enfant, elle est épuisée et le trouble demeure.

Sandra a-t-elle tué son mari ou pas ?  ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
Sandra a-t-elle tué son mari ou pas ? ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

Le personnage de Sandra nous semble souffrir de sa vie étriquée dans ce village de montagne. Elle est beaucoup trop libre dans sa tête pour s’acclimater au projet de vie ennuyeux de son mari. Il veut ouvrir des chambres d’hôtes dans leur chalet pour avoir le temps d’écrire davantage, sans avoir envisagé la charge de travail future. C’est à la fois absurde, cocasse, le signe d’une fuite en avant désespérée.

Pour lui, enseignant, se rêvant grand écrivain, alors que c’est sa femme qui occupe ce statut, il s’agit d’un retour à la case départ, ce qu’il ne s’avoue pas. Très vite la faillite de sa vie personnelle pourrait justifier un suicide plutôt qu’un homicide. Mais l’autopsie n’est pas assez catégorique pour laver Sandra de tout soupçon.

Quand Sandra se dépite d’avoir quitté son « trou » en Allemagne pour suivre son mari dans son « trou » à lui, toute la complexité de la dynamique du couple, des désirs personnels versus concessions obligatoires, résonne en nous. Cela rajoute à l’intérêt que l’on porte à ce couple.

La langue, mais également ses réactions, son désir de vivre comme elle l’entend, font de Sandra une sorte de cousine de Meursault dans L’étranger de Camus.

Forcément, notre curiosité est attisée. Nous aussi nous voulons comprendre. Nous voulons savoir, au-delà du crime, qui sont Sandra et Samuel. Pourquoi, comment, ils en sont arrivés là.

Malgré cette plongée dans les coulisses du procès, nous n’accédons jamais à la face cachée des choses.

L’accident de Daniel, la lente dégradation des relations entre Sandra et Samuel, la potentielle jalousie privée et professionnelle : tout cela est évoqué, jamais démontré. Jusqu’aux rapports que Sandra entretient avec son avocat, interprété par Swann Arlaud. Nous comprenons qu’il y a eu quelque chose entre eux autrefois : mais quoi exactement ?

Sandra et son avocat © Carole Bethuel ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
Sandra et son avocat © Carole Bethuel ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

Le terme anatomie dans le titre est bien trouvé. On peut disséquer un corps, nommer ses parties, mais personne ne peut vraiment dire ce que son propriétaire, a vécu et ressenti. La part d’ombre de chacun demeure au-delà de sa mort.

La définition du mot anatomie est la suivante : « Étude de la structure et de la forme des êtres organisés ainsi que des rapports entre leurs différents organes » (dictionnaire Le Robert). Dans le film, au travers du procès, on découvre la dynamique dysfonctionnelle de ce couple, de leur famille, leurs interactions professionnelles et privées. On découvre qu’ils ne partagent plus d’intimité physique. On en sait trop ou pas assez. Il reste toujours un mystère, des zones d’ombres, des méconnaissances, des vues partielles et tronquées.

L’UNIQUE TEMOIN NE SERT A RIEN

Daniel le témoin, film de Sandra et de Samuel, ADC2©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
Daniel le témoin, fils de Sandra et de Samuel ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

Tous les membres de cette famille ont des motivations mystérieuses. Sandra et Samuel se sont sans doute aimés, mais qu’est-ce qui les a attirés l’un vers l’autre ? Les explications fournies par Sandra rajoutent au mystère de ce couple, si mal assorti. Quant à leur enfant, Daniel, il est l’unique témoin. C’est un adolescent introverti, malvoyant. Il aime autant son père que sa mère. Ses souvenirs ne sont pas précis.

Cela participe aussi à la crédibilité du scénario. Qui n’a jamais été, comme le protagoniste, bien en peine de se rappeler « «exactement» » ce qui s’est passé, des jours, des mois et même plus d’un an après un évènement? L’écoulement du temps va généralement de pair avec l’altération des souvenirs.

Nous avons beaucoup aimé la façon dont la réalisatrice déploie la chronologie du récit. Daniel apprend le piano, régulièrement on entend ses répétitions. Finalement, il progresse, jusqu’à être capable de jouer correctement, ce qui coïncide avec son témoignage final. Le temps de la justice est long, cela est représenté de façon métaphorique par cet apprentissage de la musique. C’est une façon très habile de suggérer que beaucoup de temps s’est écoulé.

SANDRA EST UNE FEMME COUPABLE,FORCEMENT COUPABLE, COMME DIRAIT DURAS

Sandra face à ses juges ADC3©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
Sandra face à ses juges ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

Le film ne parle pas seulement d’un fait divers. Il parle de dynamiques : de couple, familiale, sociales, de rivalités et jalousies plus ou moins avouées, du quotidien avec les difficultés financières et logistiques.

L’histoire de ce couple est ancrée dans des événements qu’on expérimente tous lorsqu’on a une famille, un métier, des obligations et des désirs d’épanouissement personnel.

En tant que spectatrice, on s’identifie facilement à la démarche de Sandra, l’héroïne principale. qui se bat pour travailler, sans contraintes ni obligations, malgré un enfant malvoyant qui nécessite une attention renforcée, et un mari frustré, aigri et peu admirable.

Le mari de Sandra, écrivain frustré, n’arrive pas à terminer le moindre livre et nous apprendrons qu’il n’a pas vraiment de talent. Il rêve sa vie, tandis que Sandra vit ses rêves. Elle est donc taxée d’égoïsme, selon son mari et l’avocat général (excellent Antoine Reinartz, en procureur insupportable). Cette femme est-elle juste coupable de revendiquer sa liberté ?

C’est en tout cas ce qu’on lui reproche au début de son procès. Son indépendance en ferait une femme coupable, forcément coupable, puisqu’elle préfère écrire que de s’occuper de son mari et de son enfant. Ce raccourci reste très réducteur. Malgré son activité, Sandra tente en permanence de tisser des moments de complicité avec Daniel et de trouver des compromis avec Samuel.

Sandra est une figure de transgression puisqu’elle se fait passer avant les siens. Ou plutôt elle fait passer sa passion, écrire, avant tout. Elle a la force de ses convictions. Si son mari est un homme de projets, elle, est une femme d’actions.

C’est pourquoi nous avons trouvé intéressant que la dynamique de couple Sandra/Samuel suive un schéma original. Généralement, ce sont les femmes qui accusent les hommes d’ « égoïsme », de trop se concentrer sur leurs carrières au détriment des tâches domestiques et familiales. Pourtant, de nos jours, de plus en plus d’hommes s’impliquent auprès de leur enfant, n’ont pas le même salaire ou la même reconnaissance sociale que leur épouse. Cela génère chez certains une perte de repères dont Samuel est un exemple.

Nous sommes dans une époque où les rapports hommes femmes sont en rééquilibrage. Cela génère inévitablement la nécessité de savoir communiquer. Ce qui n’est pas la qualité première de Sandra et de Samuel.

Toute personne en couple, a vécu et vivra des situations de tension. Le film est donc ancré dans la réalité, dans quelque chose que le spectateur a déjà éprouvé. Tout le monde se dispute avec son conjoint. Sans forcément le pousser dans le vide parce qu’il aurait mis la musique trop fort…Sans forcément sauter du 3e étage parce que son conjoint est interviewé et pas vous…

UNE OPACITE TROUBLANTE

Sandra et le chien de Daniel ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE
Sandra et le chien de Daniel ©LESFILMSPELLEAS_LESFILMSDEPIERRE

Samuel (interprété par Samuel Theis), le mari de Sandra, a donc eu la mauvaise idée de basculer par-dessus le balcon, alors qu’il effectuait des travaux. Non sans avoir, précédemment, quelques heures avant de mourir, parasité l’interview de sa femme.

Dans le laps de temps où il nous a été donné de le connaitre, en vie, à cause de son attitude, il n’apparaît pas plus sympathique que la mystérieuse Sandra. Il est étrange de ressentir plus d’empathie pour la présumée coupable que pour la victime. Ce film nous fait vivre des sentiments ambivalents.

Nous découvrons même que Samuel est un raté, avec des pulsions suicidaires supposées, en échec selon lui, mais aussi du point de vue de ses amis. Lors de l’évocation de son projet avec son ami éditeur, cela est flagrant.

Dès lors, il a très bien pu se suicider d’une façon « toxique ». Il a peut-être choisi une façon qui pourrait laisser accuser sa femme et donc la détruire.

Samuel a-t-il voulu une vengeance post-mortem ? A-t-il tenté d’orchestrer la destruction de son épouse, de ses relations avec son fils, de la couper, par-delà la mort, avec sa passion : l’écriture ?

Ou Sandra a-t-elle commis le crime parfait ?

A vous de voir.

Anatomie d’une chute, de Justine Triet, Palme d’or à Cannes en 2023, 150 minutes, en salles.

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