À la suite de notre petite histoire du croissant, vous avez été nombreux à nous demander un article sur la pâte feuilletée.

Nous avons hésité car déterminer qui a inventé la pâte feuilletée est sujet à polémiques et débats, sans doute bien plus que notre article sur l’amour érotique, publié le même jour !

Car on ne rigole pas avec la nourriture et les traditions culinaires en France. L’amour du risque nous pousse à vous proposer cet article, n’hésitez pas à commenter et à apporter des précisions si vous en avez de plus fiables que les nôtres.

Nous avons dû mener une véritable enquête, digne de Rouletabille, auprès de nos amis pâtissiers et chefs pour rédiger cet article. Alors bonne lecture et soyez bienveillants !

La pâte feuilletée existe depuis 3 000 ans mais ce n’était pas de la pâte feuilletée

Sous l’Antiquité, il existait de très fines galettes craquantes, superposées les unes sur les autres, séparées par une fine couche de crème. Ces petits gâteaux étaient très populaires, y compris dans l’armée. A l’époque, les légionnaires se baladent dans tout l’Empire Romain et disséminent leurs habitudes alimentaires au gré de leurs déplacements. Et un légionnaire romain, ça bouge beaucoup !

Le feuilletage était réalisé à l’huile, feuille par feuille, en superposant feuilles et matière grasse. L’ancêtre de la pâte feuilletée était obtenu par un entassement de très fines feuilles de pâte, ce qui n’est absolument pas la méthode de la pâte feuilletée actuelle. Au gré des évolutions de l’Empire romain, cette technique arrive en Orient, plus précisément en Turquie.

La texture feuilletée plait énormément aux Ottomans et aux Arabes qui vont l’incorporer dans leur cuisine et répandre cette proto-pâte feuilletée dans tous les pays qu’ils envahissent. Ils l’implantent notamment en Espagne, tandis que les Ottomans l’imposent en Autriche, dont ils font le siège, comme nous l’avons vu dans l’histoire du croissant.

Les Croisés auraient finalement ramené la pâte feuilletée première manière en France, bien que le Sud-Ouest, proche de l’Espagne, envahie par les Maures, connaisse déjà celle-ci.

Les historiens font remonter les origines de la pâte feuilletée à ces pérégrinations.

D’une transmission orale à l’écrit

Il n’y avait alors pas un seul manuscrit avec la moindre recette. Les informations se transmettaient oralement et par la pratique. On ne recense les premières traces écrites qu’aux 14^e et 17^e siècles.

Vers 1311, l’évêque Robert d’Amiens mentionnait pourtant une recette de pâte feuilletée, mais cela ne suffit pas pour le déclarer inventeur de celle-ci, la recette se transmettant de façon empirique dans la population.

Un peu plus tôt, en Belgique, vers 1604, dans un livre de cuisine écrit par Lancelot de Casteau, un maître cuisinier dont on connait peu de choses aujourd’hui mais qui fut célèbre en son temps, il y avait aussi une recette de pâte feuilletée. Le cuisinier l’a publiée dans un livre à compte d’auteur alors qu’il était déjà très âgé. Cet ouvrage est aujourd’hui très recherché des bibliophiles. Les recettes qu’il transmet sont intéressantes (personnellement nous aurions aimé tester son pâté enragé).

La recette de la pâte feuilletée qu’il communique n’est cependant pas celle d’aujourd’hui. Il y est certes question de pliage de la pâte et non plus d’entassement des feuilles. Il évoque aussi la possibilité d’incorporer un peu de beurre ou du saindoux mais il reste super vague : zéro quantité et aucune précision sur le nombre de pliages à effectuer.

L’histoire retient surtout la recette décrite dès 1651 par le cuisinier Pierre-François de la Varenne qui recommande la technique du tourage. Dans celle-ci, il mettait un morceau de beurre au milieu de la pâte avant de la replier sur elle-même de nombreuses fois afin de l’incorporer. Grâce à cette publication, il est considéré comme l’inventeur de la pâte feuilletée. Mais pas par tout le monde. La pâte feuilletée pourrait avoir été inventée par d’autres, notamment par un certain Feuillet.

Le débat n’a jamais été tranché mais que la paternité d’une recette aussi compliquée que la pâte feuilletée soit fixée au 17^e siècle n’est pas vraiment étonnant : ce siècle a connu une véritable révolution culinaire.

Les goûts changent, les habitudes et les saveurs du Moyen-Age sont progressivement abandonnés pour des recettes plus raffinées, plus élaborées, utilisant de nouveaux produits, légumes, viandes et assaisonnements. Une certaine codification de la cuisine émerge, ce qui se traduit entre autre par des publications. Les nobles ont leur chef cuisinier et ces derniers innovent, écrivent des livres de cuisine, imposent leurs savoir-faire.

Et notre peintre dans tout ça ?

Claude Gelée, dit Le Lorrain, est né avec le 17^e siècle, en 1600, et son parcours fut pour le moins atypique. Il était peintre cuisinier, du moins dans sa jeunesse et avant d’être reconnu comme peintre. Nous pouvons voir nombre de ses tableaux dans les musées du monde entier. Pourtant, si la postérité le reconnait davantage pour ses œuvres classiques, ses gravures et ses dessins de paysages, il expérimenta un début de vie difficile : très jeune, il doit composer avec des parents malades et il est placé comme apprenti boulanger-pâtissier.

Pour faire plaisir à son père, il tente la confection de plusieurs pains à base de beurre et doit s’y reprendre à plusieurs fois pour obtenir quelque chose de mangeable. Finalement, il a l’idée de replier plusieurs fois la pâte sur une couche de beurre. Une fois cuit, son pain est épais, gonflé. Quand il le coupe, il y a plein de feuillets à l’intérieur. Sans le savoir, il a inventé ce qu’on considère aujourd’hui comme une variante de la pâte feuilletée : le feuilletage hollandais, appelé aussi feuilletage rapide.

Hélas, on ne soigne pas la maladie avec de la pâtisserie. Il est orphelin à 14 ans. Pour survivre, il s’engage auprès d’un peintre italien. Il est en charge des travaux domestiques, de broyer les couleurs et de faire à manger. Certains biographes déclarent donc qu’il aurait inventé la pâte feuilletée, plus tard, à Rome quand il cuisinait pour son maitre.

Son maitre remarque finalement ses aptitudes et prend en charge son éducation artistique.

A noter que ce maitre n’est autre qu’Agostino Tassi, connu pour avoir violé la peintre Artemisia Gentileschi, mais ça c’est une autre histoire qu’on vous raconte dans cet article de la rubrique Art. Dans la seconde partie consacrée à la pate feuilletée, nous verrons que la paternité de celle-ci est revendiquée par de nombreuses personnalités, bien qu’on ne sache toujours pas avec certitude qui fut son inventeur.

(À suivre)

Crédits photos :

Les photos de Numan Gilgil nous ont mises l’eau à la bouche :

En tête et couverture : Photo de Numan Gilgil: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-travailler-debout-cuisine-17274871/

Paragraphe : La pâte feuilletée existe depuis 3000 ans : Photo de Numan Gilgil: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-travailler-debout-cuisine-17274871/

Photo de Numan Gilgil: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/femme-travailler-debout-cuisine-17274871/

Voir l’instagram de Numan Gilgil : https://www.instagram.com/furkanfdemir/

Paragraphe : De la transmission orale à l’écrit : Photo de Malidate Van: https://www.pexels.com/fr-fr/photo/personne-repand-de-la-farine-784632/

Paysage de Claude Lorrain : Capriccio with ruins of the Roman Forum, circa 1634, collection Art Gallery in South Australia, image du domaine public.