Sorti au cœur de l’été, le film de Pierre Jolivet, Les algues vertes, met en lumière l’enquête d’une lanceuse d’alerte autour d’une nuisance que connaissent certaines plages de Bretagne : les marées vertes.

Les algues vertes de ces marées ne sont pas dangereuses quand elles restent dans l’eau, mais leur décomposition à l’air libre pose problème car elles libèrent des gaz toxiques et mortels, aussi bien pour les animaux que pour l’homme.

Affiche du film Les algues vertes
Affiche du film Les algues vertes, image presse HAUT ET COURT, crédit photo Mélanie Bodolec

De quoi ça parle ?

Le film retrace le combat d’une journaliste pigiste parisienne, Inès, qui s’installe en Bretagne avec sa compagne, afin de mieux comprendre le phénomène inquiétant des algues vertes. Quand elle débute son enquête, sollicitée par des militants régionaux, plusieurs animaux sont déjà morts, de même qu’un travailleur en charge de la collecte des algues et un habitant de la région qui faisait son jogging sur une plage infestée.

Pourtant, rien n’est fait pour remédier à ce désastre écologique et humain, les victimes et leurs familles sont réduites au silence et non indemnisées. Craignant le complotisme et soumis à diverses pressions sociales, les habitants et victimes, manipulés, ont du mal à prendre du recul et ne savent plus qui croire. Inès est-elle une journaliste qui fait son métier ou une « fouteuse de merde » ?

Entre omerta, peur d’être mis à l’écart, intérêts électoraux et économiques, les langues se délient peu et les soutiens se font rares. Inès se retrouve seule contre tous et subit d’inquiétantes pressions, son enquête dérange. Son couple, sa sécurité, son travail pourraient bien être menacés et anéantis si elle continue à fouiner…

Les algues vertes, image presse, HAUT ET COURT, crédit photo Mélanie Bodolec

Le rôle de l’Etat dans le film

Inès est reçue très cordialement par le député de la région, joué par Jonathan Lambert, excellent à contre-emploi. Pourtant aucun soutien, aucune action corrective, ni déclarations officielles n’auront lieu. Tout restera en off.

Cette inertie est justifiée par l’importance des enjeux économiques pour la région qui doit se maintenir vis-à-vis de Bruxelles, dans un contexte de concurrence accrue. Agriculture intensive, remembrement, rémunération des agriculteurs : autant de sujets évoqués par le film et exposés avec pédagogie.

Dans le film, l’Etat français n’apparait plus comme un Etat Providence, capable de protéger ses citoyens mais comme un pion au sein d’une machine de guerre économique qui détruit tout sur son passage. Marche ou crève est le nouveau motto des responsables politiques. Au-delà de la situation concrète des plages envahies par les algues en décomposition, c’est comme si, dans l’ombre, grandissait un monstre à la fois omniscient et invisible, capable de tout détruire sans bruit et sans riposte possibles. Nous déconseillons rééllement ce film aux éco-anxieux car c’est un cauchemar à la fois économique et écologique qu’il déroule sous nos yeux ébahis.

Les algues vertes, image presse, HAUT ET COURT, crédit photo Mélanie Bodolec

Le réalisateur nous épargne heureusement des tirades pontifiantes. Nous comprenons les enjeux par nous-mêmes, spectateurs impuissants de la destruction d’une région magnifique, sacrifiée sur l’autel de l’Economie mondiale.

En parallèle, les arcs narratifs des personnages (la veuve du joggeur, la compagne d’Inès, un agriculteur en apparence hostile) nous partagent leur vérité et leur compréhension de la situation, qui n’est jamais manichéenne. C’est pour cela que le film nous captive émotionnellement et intellectuellement.

Un thriller inspiré d’une histoire vraie

Avec toutes ces menaces qui planent sur Inès et l’avenir de la Bretagne, c’est un véritable thriller que nous offre Pierre Jolivet. On a peur pour elle, son chien, sa compagne mais aussi pour la région.

Les algues vertes, image presse, HAUT ET COURT, crédit photo Mélanie Bodolec

Le film est inspiré de la bande dessinée que la journaliste Inès Léraud et Pierre Van Hove ont publié en 2019 : Algues vertes, l’histoire interdite.

Il s’agit d’une histoire vraie, d’un combat en cours, le récit d’une catastrophe écologique, événement souvent occulté alors qu’en cette période de vacances nous ne pensons qu’aux plages de sable fin.

L’explication des marées vertes, selon le film, est l’agriculture intensive. Les marées vertes sont de plus en plus fréquentes, certaines plages étant interdites à la fréquentation par sécurité, sans compter les nuisances occasionnées par la décomposition des algues. Une odeur insupportable d’oeuf pourri plane dans l’air.

Une sensibilisation par la vulgarisation

Putôt qu’un discours poncif ou agressif, le réalisateur nous invite à comprendre par nous-mêmes les tenants et aboutissants de la situation. Nous avons le sentiment d’apprendre quelque chose et d’avoir les armes pour forger notre propre point de vue.

La vulgarisation des enjeux économiques mondiaux à travers les échanges enflammés entre Inès et le député mais aussi avec les locaux et le représentant de la FNSEA, nous fait comprendre que le problème ne concerne pas uniquement la Bretagne ou telle ou telle personne qui aurait eu la malchance d’entrer en contact avec les algues vertes.

Avec beaucoup de pédagogie, le réalisateur nous démontre que l’ obligation de rendement à tout prix imposée par Bruxelles, n’est rien qu’une guerre qui ne dit pas son nom, sans trêve ni accord possibles, tant que les responsabilités des uns et des autres ne seront pas établies et assumées. Être une personne de bonne volonté ne semble plus suffire dans cette nouvelle arène mondiale, gouvernée par des impératifs économiques.

Les algues vertes, image presse, HAUT ET COURT, crédit photo Mélanie Bodolec

Le combat d’Inès, qui de pigiste devient lanceuse d’alertes, débouche sur un sujet et des interrogations plus vastes : dans quel monde voulons-nous vivre demain ? Sommes-nous vraiment en sécurité dans notre petit train-train de pays développé ? Et jusqu’à quand ? Nous comprenons vite que nous sommes comme Inès : en danger.

Comment faire pour arrêter cette mise à mort silencieuse des paysages, de la filière agricole, et des êtres vivants dans un contexte économique qui valorise davantage le profit que la vie ? Quel avenir pour les futures générations ? Dans le film de nombreux jeunes sont présents, presque muets, en colère, méfiants vis à vis des générations plus âgées, avec un regard de reproche qui n’épargne ni les pseudos-responsables ni ceux qui tentent d’alerter. Le dialogue pourrait-il se rompre définitivement ?

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Un film sur un sujet polémique reçu en demi-teinte en Bretagne

Ces questions expliquent que le film ait été projeté accompagné de nombreux débats, en Bretagne, car son sujet est évidemment polémique. Les gens sont mal à l’aise. Dans presque toutes les familles de la région, une personne au moins travaille dans l’agriculture. Et puis s’il y avait simplement les gentils d’un côté et les méchants de l’autre, ce serait plus simple. Or, la préservation de la nature versus l’économie, c’est tout, sauf simple.

De plus les habitants aiment leur région, ils y vivent au quotidien et leur vision des choses est sans doute influencée par de multiples facteurs que nous ne connaissons pas mais qu’il faut respecter. Il est difficile de prendre position publiquement pour ou contre certaines personnes et décisions. La région Bretagne a d’ailleurs hésité à participer au financement du film, avant de le faire, non sans se justifier a posteriori. Fait assez révélateur, le film attire beaucoup de monde pendant les débats car c’est évidemment un film sur lequel il y a beaucoup à dire.

L’émotion est très présente, aussi bien dans le film que dans la réalité. Ainsi début juillet, quelques jours avant la sortie en salles, l’association Greenpeace a déversé une tonne d’algues vertes, à Quimper, devant la préfecture du Finistère, preuve que Pierre Jolivet a choisi de s’attaquer à un sujet hautement sensible…

Les algues vertes, image presse, HAUT ET COURT, crédit photo Mélanie Bodolec

En dehors de la polémique et de l’émotion, le film étant résolument engagé, il est important de souligner la qualité du jeu des acteurs, Céline Salette en tête. Julie Ferrier, habitée par son rôle, nous a émue comme jamais et ce fut un plaisir de la découvrir dans un rôle inattendu, tout comme Jonathan Lambert. Il est toujours jouissif de voir des acteurs à contre-emploi car de bons acteurs doivent pouvoir tout jouer.

En conclusion, nous avons eu la sensation satisfaisante d’avoir appris quelque chose d’important qui fait réfléchir. Ne dit-on pas que la connaissance est le premier pas vers l’action puis vers la libération ? Cependant nous pensons que ce sujet, fort complexe, mérite d’être suivi dans le temps car le film rend compte de l’enquête d’Inès Léraud à un instant T et les algues vertes sont un sujet sur lequel une veille doit absolument être faite pour se tenir informé des développements futurs.

Un très beau film, à voir.

Les algues vertes de Pierre Jolivet, 107 minutes, 2023, avec Céline Salette, Jonathan Lambert, Julie Ferrier, Clémentine Poidatz, EN SALLES.

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